Enseignement de l’anglais à des élèves sourds en inclusion.
Enseignement de l’anglais à des élèves sourds en situation d’inclusion scolaire : quelles problématiques ?
compte-rendu d’une expérimentation pédagogique d’enseignement de l’anglais
à des élèves sourds en inclusion scolaire, à Tours 37, de 2005 à 2018.
Michel FRANÇOIS, parent de deux enfants sourds et professeur certifié d’anglais titulaire du 2CA-SH option surdité (CAPPEI) présente l’expérimentation pédagogique de l’enseignement de l’anglais à des élèves sourds en inclusion en classe ordinaire qu’il a menée de 2005 à 2018 dans des établissements publics de Tours (Indre-et-Loire). Ce projet pédagogique a pu être mis en œuvre du cycle 3 du niveau élémentaire jusqu’à la fin du cycle 4 du collège.
L’article est conçu en deux parties complémentaires :
- La première partie présente schématiquement le système phonologique anglais et illustre, avec des exemples empruntés à des productions d’élèves, les difficultés de réception des énoncés rencontrées par les élèves sourds, mais aussi par les élèves entendants. La double problématique de surdité physiologique et de surdité phonologique génère des difficultés spécifiques d’appropriation de la langue anglaise qui sont présentées en parallèle. Un document annexe présente le contexte institutionnel de cette expérimentation, les différentes communications qui en ont été faites.
- La deuxième partie présente les adaptations pédagogiques et les stratégies mises en œuvre pour compenser ces difficultés d’apprentissage : Réponses adaptatives ciblées pour les élèves sourds en fonction des différents profils linguistiques (français langue première, français langue première avec codage en Langue française Parlée Complétée, Langue des Signes Française langue première). En outre, il présente diverses séquences pédagogiques avec des productions d’élèves, afin d’illustrer comment les élèves sourds peuvent devenir acteurs de leur apprentissage au même titre que leurs pairs entendants.
Première partie
Problématique liée à l’apprentissage d’une langue seconde
proposant un système phonologique
différent de la langue première de l’élève.
Quand nous avons découvert la surdité en tant que parents, il y a vingt-cinq ans, la problématique qui se posait à nous était surtout de savoir quelle langue donner à nos deux enfants sourds. Comment jouer notre rôle de nourrice linguistique de manière efficace avec les outils qui nous correspondaient le mieux ?
Comment faire pour que ces enfants sourds entrent dans la communication et s’approprient une langue riche complète et variée ? En sachant qu’en leur donnant un bain linguistique vocal (langue française), c’était un message lacunaire qui leur parvenait en raison de leur surdité ; et qu’en leur donnant une langue gestuelle (langue des signes française), c’était aussi un message lacunaire qu’on leur donnait puisque 95% des parents d’enfants sourds sont entendants et qu’ils ne maîtrisent pas naturellement la langue des signes (à moins de l’apprendre de manière suffisamment intensive et approfondie pour en faire une langue de communication quotidienne, ce qui n’est pas à la portée de tous les parents).
Depuis cette époque, suffisamment de progrès (dépistage plus précoce, évolution technique des prothèses auditives, prise en charge précoce, utilisation de modalités de communication audio-visuelles telles que le codage en LfPC pour les enfants éduqués en langue française, mise en place d’une véritable imprégnation en LSF et non plus en français signé pour les enfants éduqués en Langue des signes française) ont été faits pour faciliter la maîtrise d’une langue première par les jeunes sourds. En conséquence, ils sont de plus en plus nombreux à accéder à l’enseignement secondaire, voire l’enseignement supérieur (pourcentage encore bien modeste malgré tout). Ils sont donc de plus en plus nombreux à être confrontés à l’apprentissage d’une ou plusieurs langues vivantes étrangères, dont l’anglais, souvent en tant que LV1.
Ce que je viens de présenter montre qu’il y a pratiquement autant de profils linguistiques différents que d’élèves sourds. Chaque personne sourde développe une maîtrise de la langue variable selon les activités langagières orales et écrites en fonction du choix linguistique parental, qui est de droit, mais aussi selon de nombreux paramètres propres à chacun, à son histoire et à son milieu.
En tant qu’enseignant, fonctionnaire de service public, je vais, bien sûr, respecter la loi qui établit que dans l’éducation des jeunes sourds, le choix, entre « une communication bilingue (langue des signes et langue française) et une communication en langue française, est de droit » (par exemple, je ne vais pas exiger d’un jeune sourd bilingue qu’il s’exprime en anglais oral, puisque la composante orale de sa langue première est gestuelle). Je vais aussi m’appuyer sur les compétences langagières de chaque élève sourd pour développer des adaptations pédagogiques différentes selon son profil linguistique, sans perdre de vue que la langue anglaise est à la fois le vecteur et la cible d’apprentissage.
Par ailleurs, l’apprentissage de la langue vivante en classe ordinaire s’appuie en premier lieu sur des activités orales, notamment de réception de la langue orale en situations signifiantes. Si l’on observe ce que perçoivent les élèves francophones entendants en début d’apprentissage, on ne peut que remarquer des difficultés de perception du système phonologique anglais.
Première analyse.
Ce que perçoivent les élèves entendants (niveau 6ème)
Ce qui est perçu | Enoncé attendu |
*dictétion | Dictation |
*Vet’s very late | That’s very late |
*No, am not | No, I’m not |
*You’s Mark Sydney ? | Who’s Mark Sydney ? |
*Are old are you ? | How old are you ? |
*is from Washington | He’s from Washington |
*is drama instructor | He’s a drama instructor |
*Wey a London Airport | They’re at London airport. |
*Where are Julie eu mosse? | Where are Julie and her mother? |
Ces exemples illustrent plutôt les sons que ces élèves ne perçoivent pas :
les sons qui n’existent pas en langue française :
- Les sons consonnes :
le son /h/ de « he », « who » « how » « her »
le son /ð/de « that », « they », « mother »
- Les sons voyelles :
les diphtongues /eɪ/ de « dictation », /aɪ/ de « I », /eǝ/ de « they’re »
A partir d’autres exemples, on peut remarquer d’autres caractéristiques
- Une assimilation des sons perçus à des sons français.
6ème : cartounes / westerne/ brotheur/ 5ème SEGPA : I go touscoule
- Une phonologie en cours d’acquisition, avec encore une assimilation à des sons français
6ème: What languigise do you speak? / I like watching football matchise./
I like beas ball
- Une représentation phonologique instable avec une incidence sur la construction grammaticale.
4ème: Why time do you get up? / White time do you get up?
Quelles sont les caractéristiques phonologiques de la langue anglaise
qui déstabilisent la plupart des élèves francophones en début d’apprentissage ?
Document de référence :
Grammaire Orale de l’Anglais par Ruth HUART éditions OPHRYS
Caractéristiques phonologiques de langue anglaise :
Pourquoi les francophones éprouvent-ils tant de difficultés
à s’approprier le système phonologique de la langue anglaise ?
Première Caractéristique.
Tout d’abord, la prosodie de la langue anglaise est très différente de celle du français : l’anglais est une langue accentuelle, alors que le français est plutôt une langue à caractéristique essentiellement syllabique avec un accent de durée sur la dernière syllabe du mot. En anglais, c’est l’inverse, l’accent ne se limite pas à un effet de durée. La syllabe accentuée est celle qui prend du relief par rapport aux autres par sa durée, mais aussi sa clarté, son intensité et un changement de ton.
Langue syllabique (accent de durée sur dernière syllabe) | Langue accentuelle (syllabe accentuée en caractères gras et soulignée) |
Amérique | America |
Canada | Canada |
Canadien | Canadian |
Salade | Salad |
L’accent est plutôt en début de mot et peut changer de syllabe lorsqu’il y a un phénomène de dérivation.
Deuxième Caractéristique.
Il n’existe aucun point commun entre les systèmes vocaliques français et anglais. Aucun son-voyelle n’est commun aux deux langues, même si certains sont proches. En français, par exemple, il y a des voyelles nasalisées, ce qui n’existe pas en anglais où l’on distingue trois types de voyelles que l’on répartit traditionnellement en trois catégories : voyelles courtes, voyelles longues et diphtongues. Une diphtongue est un son vocalique double, c’est la combinaison de deux voyelles courtes. (Voir article : la minute du Cued Speech 1 * erreur sur la graphie du symbole phonétique du « a long » qui doit être /ɑ:/ et non pas /a:/)
La non-discrimination des différents types de sons vocaliques entraîne des confusions au niveau lexical et morphosyntaxique. Voici quelques exemples de confusions courantes en perception auditive : « beer » et « bear », deux sons diphtongues différents, or ces mots ont des significations différentes (bière, ours) ; même chose entre « ship » et « sheep » (navire et mouton) pour lesquels la différence réside dans la longueur et la tension de la voyelle « /Ⅰ/, i court » pour le premier et « /i:/, i long » pour le second. Cela peut avoir aussi une incidence sur la représentation morphosyntaxique. Par exemple, les paires « sit », « seat », ou bien « this », « these », présentent un « i court » dans le premier mot et un « i long » dans le second. Cette différence vocalique permet de distinguer le verbe (être assis) du nom (siège) dans le premier cas, et le singulier (ce) du pluriel (ces) dans le second. Autre exemple : « Who » (qui) et « how » (comment) sont deux mots que les francophones confondent régulièrement auditivement mais aussi à l’écrit car constitués des mêmes lettres dans un ordre différent. Une utilisation ciblée du Cued Speech permet de discriminer ces mots, y compris par les élèves entendants.
Troisième Caractéristique.
Après avoir envisagé les différents types de voyelles et la notion de syllabe accentuée, il faut observer un autre trait fondamental du système phonologique anglais : que se passe-t-il sur les syllabes inaccentuées ?
Dans la plupart des mots plurisyllabiques, la voyelle des syllabes inaccentuées peut être totalement supprimée dans la prononciation, ou plus souvent, perdre sa couleur vocalique et se réaliser en un son-voyelle minimal. Ce son-voyelle va devenir la production minimale que l’on puisse réaliser, juste en ouvrant la bouche et en faisant passer de l’air par les cordes vocales. Il s’appelle le « schwa », symbole phonétique / Ə /. C’est ce qu’on appelle la « réduction vocalique ».
Cette réduction vocalique s’applique aussi, dans la structure syntaxique, aux mots grammaticaux qui assurent les relations les plus élémentaires au sein de l’énoncé (déterminants, prépositions etc…) , ou qui ont un rôle anaphorique. (Voir articles : la minute du Cued Speech 3 et 3 bis)
Dans tous les cas, que ce soit à l’intérieur des mots, dont le schéma accentuel est fixe ou bien pour les mots grammaticaux à l’intérieur de la phrase, l’observation (en perception et production) de la réduction vocalique des syllabes inaccentuées est fondamentale pour la prosodie. C’est parce qu’on va savoir prononcer la réduction vocalique que l’on va acquérir le rythme de la chaîne parlée et pouvoir prononcer correctement les sons-voyelles pleins des syllabes accentuées et non l’inverse
Quatrième Caractéristique.
La plupart des sons-consonnes est commune au français et à l’anglais, avec toutefois, quelques différences dans leur réalisation. Néanmoins certains sons consonnes n’existent pas en français ; comme le /h/ de « hello », le son /θ/ de « three » et le son /ð/ de « the ». La non perception naturelle de ces trois sons consonnes entraîne soit une élision totale du son (pour le /h/) soit une assimilation aux sons consonnes les plus proches de la langue française (le /f/pour le /θ/ et le /z/ pour le /ð/). Cela entraîne des confusions au niveau lexical et morphosyntaxique.
Cinquième Caractéristique.
Il y a peu de régularités dans la correspondance grapho-phonémique (correspondance entre les sons et les graphies) : l’anglais n’est pas une langue transparente, loin de là, elle est même la langue européenne qui génère la plus grande prévalence de dyslexie.
Passer de l’oral à l’écrit, ou utiliser la procédure inverse qui consisterait à percevoir l’oral à partir de l’écrit n’est pas réalisable alors que cela pourrait constituer une adaptation pour les personnes sourdes. Par exemple ;
- La graphie « a » correspond à sept phonèmes différents :
la graphie « a » se prononce : [æ] dans « cat », [ɑ:] dans « car », [eǝ] dans « care », [ɔ:] dans « war », [ɒ] dans « wash », [eɪ] dans « late », [ɪ] dans « village », [ǝ] dans « about » |
- Le phonème /ɔ:/ correspond à neuf graphies différentes :
Le son [ɔ:] s’écrit : « or » dans « storm », « oar » dans « coarse », « ar » dans « war » « augh » dans « daughter », « aw » dans « awful », « ough » dans « bought » « al » dans « talk », « our » dans « four », « oor » dans « door » |
Pour résumer et terminer cette première approche du système phonologique anglais,
je présenterai le fonctionnement de la prosodie :
Le schéma accentuel du mot est stable, avec des alternances de syllabes accentuées et inaccentuées, en plus de la production de voyelles courtes, longues ou diphtongues. Leur production imprime un rythme de base auquel va s’ajouter un accent de phrase en fonction de l’intention de l’énonciateur.
- Les accents de mots imposent une première distribution de syllabes accentuées et inaccentuées qui impriment ce qu’on appelle « le battement rythmique » avec trois degrés d’accent : principal (primary), secondaire (secondary) et faible ou nul. (Rappel : quand dans un mot, deux ou plus de deux syllabes précèdent l’accent primaire, il y a nécessairement apparition d’un accent secondaire. Le battement rythmique impose qu’aucun mot ne puisse commencer par deux syllabes inaccentuées. Quand il y a phénomène de dérivation, la syllabe accentuée du radical prend la plupart du temps un accent secondaire dans le mot dérivé.
- L’énonciateur choisit de mettre en relief un segment de la phrase en fonction de l’intention qui motive son énonciation. Par ailleurs, dans chaque unité intonative, on trouve une syllabe, (généralement proche de la fin) qui s’accompagne d’une modulation de la voix plus marquée que les autres. C’est l’accent nucléaire ou accent de phrase.
A partir du premier constat (présenté en première page) de ce que les élèves entendants perçoivent de la langue anglaise,
et en prenant en compte les spécificités du système phonologique de cette langue,
j’ai voulu approfondir cette analyse afin de pouvoir apporter les adaptations pédagogiques nécessaires.
Que perçoivent les élèves en situation de réception auditive
(réception bimodale audiovisuelle avec l’apport du Cued Speech
pour les élèves sourds) de la langue parlée ?
Quelle incidence sur leur appropriation de la langue anglaise ?
J’ai mené cette expérience dans le cadre de mes cours en classes de collège de milieu ordinaire avec des élèves sourds en situation d’inclusion individuelle.
La majorité des élèves sourds et entendants testés est francophone, de langue maternelle ou langue première. Cela a induit une spécialisation cérébrale, conditionnant leur perception de toute autre langue vocale à travers le filtre du système phonologique de leur langue première. Avec l’apprentissage de l’anglais en tant que LV1, et l’exposition à un système phonologique si différent de celui de la langue française, comment les élèves réagissent-ils et comment construisent-ils leur édifice linguistique ?
Présentation des situations de réception d’énoncés illustrées ci-dessous.
Colonne de gauche : Des énoncés simples ont été présentés oralement, les élèves devaient noter ce qu’ils percevaient. Ce travail était proposé hors contexte pour ne pas créer la possibilité d’anticiper le contenu des phrases à partir d’indices extralinguistiques, Il s’agissait de focaliser l’effort sur la réception de phrases correspondant au niveau de compréhension des élèves car correspondant à des séquences pédagogiques antérieures (classes de 5ème). Activité organisée en deux temps distincts :
- Pour les élèves entendants, il s’agissait d’un enregistrement, chaque phrase étant produite à un rythme standard et répétée plusieurs fois.
- Pour la personne sourde, je parlais et je codais en même temps, cela ralentit le débit de parole et favorise la lecture labiale sans oublier les capacités de décodage qui étaient sollicitées pour les élèves sourds éduqués en LfPC.(Langue française Parlée Complétée)
- Les phrases en caractères italiques gras correspondent à la production de l’élève sourde
- Point de vigilance : cette activité semble se présenter comme les dictées que l’ont fait traditionnellement en français pour évaluer la maîtrise de l’orthographe. Elle est totalement différente, car les énoncés sont présentés intégralement et toujours au même rythme. De plus un temps de latence est laissé entre chaque répétition pour laisser le temps d’écrire et éviter les situations de double tâche. Les élèves ont généralement deux stratégies à leur disposition ; soit ils écoutent l’énoncé plusieurs fois avant d’écrire et finissent par écrire intégralement ce qu’ils ont perçu, soit ils écrivent les mots clés en laissant des espaces qu’ils comblent au fur et à mesure.
Colonne de droite : Pour vérifier que ces énoncés correspondaient bien au niveau de compétence des élèves, je leur ai demandé, une semaine plus tard, ce qu’ils diraient dans chaque situation (exemple : ils devaient parler de leurs vacances de l’an dernier et dire qu’ils avaient visité New York.)
Première situation
Dans cette première situation, on remarque que la plupart des élèves a su produire l’énoncé, certains avec une assimilation du « i court » anglais au /e/ français, mais qu’en revanche, plusieurs d’entre eux (un nombre assez important) ont rencontré des difficultés à percevoir la phrase correctement en raison d’un problème de segmentation de la chaîne sonore en unités signifiantes. Cette difficulté provient très souvent du phénomène de liaison ou de l’amalgame de sons consonnes comme ici où le dernier son-consonne de « New York » a été collé à « last ». Plusieurs élèves ont donc perçu le mot « class ». Cette mauvaise segmentation a généré deux attitudes différentes. Certains ont fait de la suppléance mentale et ont essayé de réinterpréter la phrase pour trouver une cohérence de sens autour du mot « class », d’autres ne se sont pas posé la question du sens ou n’ont pas réussi à proposer de solution. Nous nous trouvons ici typiquement dans une situation de surdité. Cette expérience montre que beaucoup d’élèves francophones sont atteints de surdité phonologique quand il s’agit de percevoir la langue anglaise en raison des différences fondamentales existant entre les systèmes phonologiques respectifs des deux langues. L’élève sourde a relativement bien réussi l’activité de réception de l’énoncé certainement grâce à l’adaptation qui a permis de ralentir le débit de parole avec possibilité de lecture labiale.
On peut donc en déduire que les adaptations pédagogiques que l’on va mettre en place pour les élèves atteints de surdité physiologique vont être utiles à un certain nombre d’élèves entendants atteints de surdité phonologique.
Deuxième situation
Pour cette deuxième expérience, la phrase à percevoir s’articule autour de trois mots clés que tous les élèves ont perçus : « invite » « friends » « party ». Cela signifie que tous les élèves ont compris le sens global de l’énoncé soit l’invitation d’amis à une fête. Mais s’agit-il d’inviter un ami, des amis, ses amis, son ami ? S’agit-il de les inviter à une fête, à la fête, à sa fête ? S’agit-il d’une invitation au passé, au présent, au futur ? Beaucoup ont perçu des structures de phrase différentes y compris des structures incorrectes grammaticalement.
Ici, la problématique mise en évidence est la difficulté rencontrée par les élèves francophones à construire une représentation fiable de la syntaxe anglaise à partir de la chaîne parlée. Ceci est lié, encore une fois, à la surdité phonologique des francophones face à la langue anglaise. Ils peuvent percevoir les mots clés de l’énoncé qui vont leur donner une compréhension approximative mais ils vont difficilement identifier les mots grammaticaux qui passent inaperçus dans la chaine sonore car ils sont produits très rapidement. Ils sont désaccentués, et perdent souvent leur son voyelle, réduit au son voyelle minimal (le schwa : / Ə /). Par ailleurs, on n’imagine pas en français un mot changer de prononciation en fonction de sa place dans la phrase. A cela deux difficultés s’ajoutent : le phénomène de liaison qui gêne la segmentation et le pluriel difficile à percevoir en fin de mot. La colonne de droite met en évidence, pour certains élèves, l’interférence de la syntaxe française (« at a party ») qui vient, elle aussi gêner la mise en place d’une représentation fiable de la syntaxe anglaise.
L’élève sourd.e est toujours dans une situation de réussite relative. Il (elle) a perçu tous les mots de la phrase en réception mais a éprouvé des difficultés à produire un énoncé cohérent où il (elle) place systématiquement l’auxiliaire être après le pronom sujet (erreur probablement liée à un début d’apprentissage de la langue qui a « fossilisé » la structure pronom personnel, auxiliaire être).
Cela pointe la différence entre le vocabulaire passif de reconnaissance et le vocabulaire actif que l’élève est capable de mobiliser. En conséquence, l’imprégnation ne suffit pas à l’acquisition de la langue, il faut être acteur et constituer ses propres énoncés. Par ailleurs, les élèves sourds bénéficient de moins de temps d’activité cognitive en raison du temps de latence lié à la réception du message.
Troisième situation
La troisième situation illustre ce qui se passe lorsqu’un mot clé n’est pas identifié. Ici il s’agit d’un verbe appris l’année précédente mais réalisé au passé, donc gardant le même nombre de syllabes à l’oral alors qu’on lui ajoute le suffixe « ed ». Les élèves perçoivent bien deux syllabes, ils écrivent donc «hooved» mais ne font pas le lien avec «hoovered» qu’ils considèrent comme un mot de trois syllabes en raison des réflexes de syllabation acquis en langue française. D’autres n’ont pas reconnu le verbe, cela pose la question du nombre de fois où un mot doit être rencontré en situation signifiante pour être intégré au corpus lexical de l’élève.
En revanche, lorsque l’on regarde la deuxième colonne où les élèves devaient reproduire un énoncé en fonction de la situation expliquée en français (qu’est-ce que vous diriez dans telle situation ?), on remarque trois situations différentes :
- D’une part, certains élèves ont réussi à mobiliser le verbe approprié mais mémorisé globalement dans une expression préfabriquée (hoover the floor, hoover the carpet).
- D’autres élèves ont mobilisé un autre lexique pour exprimer l’idée.
- Certains sont restés dans l’impossibilité de produire un énoncé.
Ce qui est pointé ici, c’est la persistance des réflexes acquis en langue maternelle qui viennent gêner l’appropriation de la langue étrangère. Cela est particulièrement sensible lorsqu’il s’agit de mémoriser les mots et les énoncés manipulés à l’oral en classe. Le temps d’exposition au modèle oral n’est souvent pas suffisant pour développer une mémorisation auditive stable et fiable. Lorsque l’élève se retrouve face à ces mêmes énoncés écrits dans son cahier pour les mémoriser, il risque de mobiliser ses réflexes de lecture en langue française, d’être incapable de prononcer correctement ces énoncés et par conséquent de faire le lien avec le travail fait en classe. Cette situation d’apprentissage sans adaptation ne peut qu’entretenir une situation de surdité phonologique plus ou moins aigüe selon les élèves. Ce que je vais illustrer par un dernier exemple, avec les énoncés perçus par quatre élèves de quatrième, pour conclure cette première partie.
Il s’agit ici d’une situation de réception orale en deux temps en fonction des modalités de production du message, telle que décrite dans les situations précédentes. Elle intervient à la fin d’une séquence de niveau quatrième, après une multiplicité d’activités orales et écrites en compréhension et expression ainsi que des activités d’entraînement et d’apprentissage lexical et syntaxique. Une analyse succincte des énoncés produits (une analyse plus fine permettrait d’identifier précisément les difficultés rencontrées) peut éventuellement finir par faire repérer les travaux des élèves sourds par rapport à ceux des entendants, bien que ce ne soit pas si évident en première lecture (deux élèves sur quatre). En fait, les énoncés des élèves entendants sont le premier et le troisième. Le troisième montre une situation d’acquisition confirmée. Le premier illustre le fait que certains élèves entendants parviennent difficilement à dépasser leur surdité phonologique, générée par une spécialisation cérébrale dans le traitement de la perception de la langue maternelle au détriment des autres langues : difficulté d’identification et de discrimination des sons, confusion de sons, assimilation à des sons de la langue première, difficultés de segmentation en unités signifiantes, tout cela rend la compréhension de l’énoncé difficilement réalisable.
Pour les deux élèves sourdes, on peut percevoir la différence entre l’élève qui a bénéficié d’une langue française première avec LfPC, qui mobilise donc ses compétences de décodage (deuxième énoncé) et l’élève qui a été éduquée en langue française vocale sans LfPC (quatrième énoncé). Pour les deux élèves, peu de difficultés de segmentation certainement en raison du ralentissement du débit de parole lié au codage. En revanche, l’élève sourde qui a produit le quatrième énoncé n’a perçu pratiquement aucun des mots clés qui pouvaient lui permettre de reconstruire du sens par suppléance mentale alors que l’élève sourde Lpciste a davantage d’éléments sur lesquels s’appuyer pour construire sa compréhension de l’énoncé.
A partir de ces constats, on peut percevoir que des élèves sourds mais aussi entendants se trouvent en difficulté face aux activités orales qui occupent une grande partie du temps pendant les cours d’anglais. Il peut donc être envisagé des stratégies pédagogiques d’adaptation spécifiques aux élèves sourds pour répondre à des besoins communs aux élèves sourds et entendants. C’est l’axe de travail qui sera développé dans la deuxième partie.
Annexe :
contexte de mise en œuvre de cette expérimentation pédagogique.
Enseignant certifié d’anglais avec :
- une expérience parentale de nourrice linguistique de mes deux enfants sourds,
- une première expérience professionnelle d’enseignement de l’anglais à deux élèves sourds en inclusion en milieu ordinaire.
J’ai pu faire partie de la première promotion d’enseignants du second degré participant à la formation 2CA-SH option surdité (Certification et formation pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap, maintenant CAPPEI) en 2004-2005. Cette formation était proposée au C.N.E.F.E.I. (maintenant I.N.S.H.E.A) de Suresnes.
Utilisateur de la LfPC (Langue française Parlée Complétée) depuis 1997 et initié à sa version anglaise, le Cued Speech, à partir de 2004, j’ai rédigé un mémoire professionnel intitulé :
MEMOIRE PROFESSIONNEL
Langues audio-orales
et
Jeunes sourds en intégration en milieu scolaire ordinaire
De l’acquisition du français-langue première à l’apprentissage de l’anglais-langue seconde
Du code L.P.C. au Cued Speech
Quel code ? Quels objectifs ?
Dans ce mémoire, j’ai développé un premier projet d’enseignement de l’anglais langue seconde à des élèves sourds à l’aide du Cued Speech.
Dans le contexte de la loi n°2005-102 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005, une véritable synergie entre les différents services de l’Education Nationale au niveau local, départemental et régional a favorisé la mise en œuvre de ce projet en tant que prolongement expérimental de la réflexion menée dans ce mémoire professionnel.
Pour les années scolaires 2005-2006, 2006-2007, 2007-2008, j’ai pu conduire une démarche pédagogique, en parallèle à mes fonctions d’enseignant de collège, puis d’enseignant référent des équipes de suivi de scolarisation. Je suis intervenu dans deux écoles élémentaires de Tours, au niveau CM1, puis CM2. J’intervenais une fois par semaine auprès de deux élèves sourds profonds, locuteurs de la langue française en langue première, dont un avec l’aide de la LfPC. Ils étaient scolarisés dans la Clis (maintenant ULIS) de l’école Raspail. J’intervenais également une fois par semaine, à l’école Rabelais, où était scolarisée en inclusion individuelle, une élève sourde sévère-profonde, locutrice de la langue française avec LfPC en L1.
En 2007-2008, ces trois élèves ont été orientés, (ainsi qu’une quatrième élève sourde profonde, locutrice de la langue française avec LfPC en L1) en sixième dans l’UPI (maintenant ULIS) du Collège Léonard de Vinci, à Tours. J’ai pu poursuivre l’expérimentation, j’intervenais une heure hebdomadaire auprès des quatre élèves afin d’apporter une aide spécifique à l’apprentissage, proposer les adaptations pédagogiques en relation avec la surdité et développer progressivement les capacités d’autonomie pour les trois autres heures d’anglais hebdomadaires en classe ordinaire. Cela impliquait également une concertation avec l’enseignant d’anglais de la classe.
Ce projet a pu être mené grâce au soutien et à la coopération de la direction départementale de l’EN, plus particulièrement de l’Inspectrice ASH, du rectorat de l’académie, plus particulièrement de l’Inspectrice Pédagogique Régionale d’anglais, des directeurs et enseignants des deux écoles élémentaires et du chef d’établissement du collège. Chaque année, j’ai rédigé et transmis le projet pédagogique aux personnes concernées dont mes supérieurs hiérarchiques. La troisième année, l’expérimentation a été évaluée positivement, lors d’une inspection conjointe de l’Inspectrice ASH d’Indre-et-Loire et de l’Inspectrice Pédagogique Régionale d’anglais, au mois d’avril.
En 2009 le chef d’établissement du collège Léonard de Vinci faisait la demande de création d’un poste d’anglais spécifique auprès des autorités académiques, pour soutenir le dispositif ULIS Troubles des Fonctions Auditives de l’établissement. J’ai postulé sur ce poste qui m’a été attribué et que j’ai occupé pendant neuf ans jusqu’en juillet 2018.
Au cours des douze années d’expérimentation pédagogique, j’ai régulièrement été amené à communiquer sur l’évolution de mon travail lors de différents événements ou moments de formation. (2008 journées d’études de l’ALPC, 2009 CNEFEI (INSHEA), 2010 Ecole Supérieure de l’Education Nationale Poitiers, 2015 journée d’étude Droit au Savoir, 2016 ESPE Indre-et- Loire, 2016 rédaction article pour revue ACFOS Connaissances Surdités, 2017 journée ALPC à l’INJS de Paris, 2018 Génération Cochlée).
Deuxième partie
Surdité physiologique et surdité phonologique :
quelles réponses adaptatives apporter ?
En situation d’inclusion scolaire, il est intéressant d’envisager les points de convergence et les différences entre élèves sourds et entendants pour envisager des orientations pédagogiques efficaces préconisées par l’approche actionnelle de l’enseignement des langues et aussi développer des stratégies de compensation.
Traits communs et différences entre les apprenants francophones entendants en situation d’apprentissage de l’anglais et les jeunes sourds en situation d’acquisition du français-langue première.
Conclusions induites pour l’enseignement de l’anglais
TRAITS COMMUNS | DIFFERENCES |
Une perception lacunaire et fautive de la langue orale. Pour des raisons physiologiques dans le cas de la surdité, pour des raisons culturelles chez les entendants (spécialisation progressive dans la perception des sons de la langue maternelle au détriment des autres langues) >>> apprentissage des langues de plus en plus tôt avant la fin de période de plasticité cérébrale >>> nécessité d’une éducation auditive (élèves entendants), bimodale (élèves sourds) | Motivation Français-langue première : nécessité vitale comme pour toute langue première. Versus Anglais : langue imposée par le système scolaire, attente culturelle du milieu familial, motivation conditionnée par un besoin social et culturel >>> créer des situations d’apprentissage attractives et variées avec des aspects ludiques pour soutenir la motivation |
Nécessité d’une éducation auditive. L’enfant sourd, dépisté et appareillé très tôt, apprend à optimiser ses restes auditifs grâce à une rééducation orthophonique. L’enfant entendant peut être éduqué auditivement à des sons qui lui sont étrangers. Les instructions officielles mentionnent une véritable « éducation de l’oreille ». « L’entraînement à la compréhension auditive demeure un objectif prioritaire… pour les raisons suivantes : les traits de la chaîne parlée anglaise constituent une difficulté majeure pour un francophone » >>> Proposer des activités phonologiques | Perception bimodale audio-visuelle de la langue L’élève sourd a développé des capacités de perception de la langue par le canal visuel. S’il est décodeur de la LfPC, ses compétences peuvent être réinvesties pour l’apprentissage d’une langue seconde par le canal visuel. Versus L’élève entendant a principalement recours au canal auditif pour l’apprentissage de la langue étrangère même si l’information visuelle peut aider. >>> Ne pas limiter les activités phonologiques au canal auditif |
Risque de bain linguistique réduit. Pas ou peu d’accès aux informations fortuites pour les sourds (français-langue première), temps d’exposition à la langue réduit à l’horaire scolaire (langue étrangère) >>> développer des stratégies de compensation, >>>s’appuyer sur les compétences langagières développées en L1, >>>penser une progression qui réactive périodiquement le lexique et les structures de phrases déjà rencontrées | Contexte d’acquisition de la langue Acquisition de la langue en situation naturelle de communication dans un contexte psychoaffectif valorisant et incitatif (français-langue première). Versus Enseignement de la langue étrangère dans un contexte scolaire, situation de communication artificielle : notion de faire semblant >>> développer une approche communicative actionnelle, rendre l’élève acteur de son apprentissage |
La perspective actionnelle de l’enseignement des langues vivantes s’inspire des recherches linguistiques conduites au niveau européen et formalisées dans le CECRL (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues). L’imprégnation ne suffit pas pour s’approprier une langue. Il ne suffit pas d’écouter et de s’imprégner auditivement, il faut surtout être acteur de son apprentissage, d’où la notion d’activités langagières.
Agir avec la langue, c’est se positionner en tant qu’acteur social
avec une intention de communication en interaction avec les autres.
C’est ce qui est présenté ci-dessous.
• On apprend une langue vivante essentiellement en l’utilisant. L’imprégnation ne suffit pas, il faut aussi être acteur de son apprentissage en prenant part aux activités langagières. o Compréhension orale (écouter et comprendre) o Compréhension écrite (lire et comprendre) o Expression orale en interaction (prendre part à une conversation) o Expression orale en continu (parler en continu) o Expression écrite (écrire) |
• Les activités de compréhension orale et d’expression orale en interaction sont celles qui sont les plus pratiquées en classe ordinaire. |
• Communiquer grâce à une langue, c’est aussi agir en tant qu’être social avec une intention de communication fondée sur une représentation et une expérience du monde. |
Une attention particulière doit être accordée aux activités orales, qui constituent les fondations de l’édifice linguistique des langues vocales. Ce sont donc les activités les plus fréquentes en cours d’anglais en milieu ordinaire, particulièrement en début d’apprentissage.
Première réponse adaptative :
faciliter la réception du message oral par les élèves sourds.
La compréhension orale est difficilement accessible aux élèves sourds telle qu’elle est pratiquée en classe. A partir d’un enregistrement par exemple, la compréhension orale ne s’appuie que sur le canal auditif.
En revanche proposer une approche bimodale audio-visuelle va aider les élèves sourds qui ont développé des compétences en lecture labiale, ou encore mieux, qui savent décoder dans leur langue première. Le code n’est pas à confondre avec la langue des signes. Il s’agit bien d’une approche gestuelle mais le code ou LfPC (langue française parlée complétée), c’est la langue française vocale, dans une modalité visuelle ou audiovisuelle. La position de la main autour du visage indique les sons voyelles. La configuration de la main donne les sons consonnes. Ces gestes viennent compléter la lecture labiale en synchronisation et permettent une perception optimale de la langue parlée pour une personne sourde entrainée. C’est un outil à la fois phonémique, syllabique et accentuel pour l’anglais, qui a été inventé, en 1966 par le docteur Orin Cornett, professeur à l’université Gallaudet, Whashington DC, université pour sourds aux Etats-Unis).
Il y a évidemment un code différent pour chaque langue puisqu’il traduit le système phonologique propre à chacune d’entre elles. En anglais, c’est le Cued Speech.
Si un élève sourd éduqué en LfPC en langue première réussit à suivre une partie des cours de la semaine sans codage, c’est parce que sa maîtrise de la langue française lui permet d’exercer de la suppléance mentale pour combler les vides laissés par ce qu’il n’a pas perçu. Mais cela est particulièrement fatigant, pas toujours efficace et demande une attention toute particulière de la part de l’enseignant pour compenser le risque de décrochage et vérifier que l’élève n’a pas émis d’hypothèses erronées. Pour l’apprentissage de l’anglais, la suppléance mentale n’opère pas, on ne peut pas deviner des sons, des mots et des structures de phrases que l’on n’a jamais perçus ni reproduits. D’où l’aide indispensable apportée par le Cued Speech.
On distingue deux modalités d’utilisation du code en classe :
Cued Speech chart for the vowel sounds
Hand placements for short and long vowel sounds
Hand placements for short and long vowel sounds
- Cued Speech simultané :
Lorsque l’enseignant produit lui-même les énoncés en s’adressant aux élèves, l’information sonore et l’information visuelle sont synchrones. Cette situation réunit, pour l’élève sourd, les conditions d’apprentissage les plus proches de celles de l’élève entendant. Il pourra découvrir, répéter et corriger ce qu’il a perçu puisqu’il aura eu les deux informations en même temps. Comme un entendant, il sera influencé par la langue française, mais sur les deux modalités (auditive et visuelle : il existe quelques sources de confusion entre le code anglais et le code français). C’est la modalité certainement la plus efficace pour la découverte de nouveaux énoncés. Il est possible qu’il soit nécessaire, à un stade donné de l’apprentissage, d’enseigner le Cued Speech à l’enfant sourd afin de lui assurer une meilleure maîtrise phonologique.
Pour les élèves sourds ne sachant pas décoder systématiquement, cette modalité de communication peut les aider car elle favorise un débit de parole moins rapide et une meilleure image labiale (aspect observé auprès d’élèves sourds moyens).
Pour les élèves entendants, cette modalité peut contribuer à une meilleure discrimination phonologique : il ne s’agit pas de leur demander de décoder la globalité des messages, ils n’en ont pas développé les capacités. Néanmoins, cette main qui se déplace de manière structurée autour de la bouche, attire le regard sur les lèvres du locuteur et facilite une prise d’information visuelle complémentaire, telle que la durée d’un son- voyelle, la présence d’une diphtongue ou d’un son /h/ (main qui s’attarde sur une position, main qui passe d’une position à une autre, configuration de main particulière) Ces aspects ont été observés chez un certain nombre d’élèves entendants lors des séances.
- Cued Speech en différé :
c’est la situation traditionnelle de classe avec présence d’un codeur (codeurs (euses) formés(ées) au Cued Speech en augmentation mais en nombre encore réduit) : l’élève sourd reçoit une information auditive incomplète suivie, avec un léger décalage, de l’information visuelle donnée par le codeur. Cela implique une gymnastique mentale pour passer d’une source d’information à l’autre et une bonne capacité de décodage. Le codeur peut être amené à passer d’un codage intégral à un codage synthétique pour reformuler le message quand il s’aperçoit que l’élève a perdu le fil. En ce qui concerne l’anglais, la situation est particulière, surtout en début d’apprentissage, puisque la langue elle-même est l’objectif d’apprentissage, elle n’a pas encore le statut de langue outil. Le codage intégral est donc indispensable. Son efficacité deviendra optimale avec le temps d’exposition à la langue. Pour les élèves entendants, le codage en différé n’est d’aucune utilité, ils n’ont pas développé les capacités de décodage de l’enfant sourd et ont perçu le message auditivement (de manière plus ou moins juste) avant que le message visuel ne soit donné.
- Point de vigilance : utiliser la LfPC pour faire l’économie de l’apprentissage du décodage du Cued Speech ou bien par peur de confusions possibles entre les deux codes par l’élève sourd(e) serait contreproductif. L’information visuelle apportée par la LfPC n’est pas en cohérence avec les images labiales des sons anglais, or il est indispensable que les informations audio-visuelles simultanées (son, image labiale, code) soient congruentes. De plus le Cued Speech transmet la dimension accentuelle de la langue anglaise par un léger mouvement de la main vers le bas pour la réduction vocalique des syllabes inaccentuées.
On peut donc rendre la compréhension orale plus accessible à des élèves sourds qui savent décoder, mais aussi à ceux qui ont développé des compétences de lecture labiale. Le professeur peut se substituer à la bande son traditionnelle pour favoriser la lecture labiale et la prise d’indices en même temps. Quand la gestion de la classe ne permet pas cela, la solution de substitution est de distribuer le script de l’enregistrement aux élèves sourds pour qu’ils puissent être en activité au même titre que les élèves entendants. En revanche, cela devient pour eux une activité de compréhension écrite.
Deuxième réponse adaptative :
éducation auditive prônée par les textes officiels destinée à construire
une conscience phonologique stable de la langue anglaise.
L’enfant sourd ne pourra pas s’approprier, seul et par découverte naturelle, la grille phonologique de l’anglais. Il faudra donc l’aider à la construire de manière raisonnée et systématique. Mais s’agit-il vraiment d’un besoin spécifique à l’enfant sourd ? L’enfant entendant, lors d’un apprentissage précoce, va, certes, réactiver ses capacités innées à percevoir et produire les sons de la langue étrangère. Néanmoins, le temps d’exposition à la langue seconde va être très limité, quelques dizaines d’heures annuelles par rapport aux milliers d’heures qui lui ont été nécessaires pour maîtriser et mémoriser la phonologie de sa langue maternelle. De plus, certaines fréquences sonores seront perçues auditivement mais non reconnues comme informations pertinentes à cause du conditionnement linguistique lié à sa langue première (il suffit de penser au s en fin de verbe à la troisième personne).
L’entraînement par la boucle audio-phonatoire (émission d’un son, écoute, correction) risque de s’avérer à peine suffisant pour assurer une mémorisation auditive durable des sons de l’anglais alors que l’élève passe le reste du temps dans un univers francophone. Bien sûr, le corpus d’énoncés produits reste limité en début d’apprentissage et l’enseignant multiplie les situations de communication propices à la production de ces énoncés (progression en spirale) : cela favorise l’entraînement de la mémoire auditive et peut aboutir à des résultats positifs en termes de prononciation, de rythme, d’intonation et de mémorisation de certains traits phoniques et prosodiques. Il va falloir, en plus, proposer des activités phonologiques.
Montage de la grille phonologique : développer la conscience phonologique des élèves sourds et entendants et favoriser leur autonomie grâce à l’introduction d’un système iconique référent, conduisant, à terme, à la reconnaissance de symboles phonétiques par imprégnation.
Chaque son voyelle est associé à un mot monosyllabique représenté par une icône en plus du symbole phonétique correspondant. Ces mots référents sont très utiles pour identifier la prononciation des sons voyelles des nouveaux mots rencontrés, ce qui ne pourrait pas être fait en se référant uniquement au phonème vocalique que l’élève ne pourra pas identifier en début d’apprentissage en raison de sa spécialisation cérébrale dans la langue première.
En début d’apprentissage le corpus lexical reste limité (répertoire lexical de 1000 mots pour le niveau A1, travaillé en cycle 2), il est majoritairement constitué de mots monosyllabiques.
C’est donc le moment privilégié pour s’approprier le système vocalique en identifiant et discriminant les différents sons-voyelles.
Trois types d’activités sont proposés
en parallèle aux activités de communication traditionnelles du cours d’anglais.
Première activité :
En tout début d’année (CM1, CM2, 6eme), nous passons deux semaines à apprendre ces mots référents, avec une approche ludique, (bingo, memory, jeux de cartes, pour associer son voyelle, mot référent et icône signifiante). Cela se pratique avec l’ensemble de la classe dans un premier temps puis en groupes ou en binômes au fur et à mesure de la prise d’autonomie des élèves. L’objectif est de pouvoir mémoriser ces mots référents et rendre leur utilisation automatique, avec une approche plurimodale incluant le recours au codage en Cued Speech pour tous les élèves (voir ci-dessus Cued Speech simultané).
La mémorisation automatisée de ces mots référents va permettre deux autres types d’activités qui pourront être proposées périodiquement jusqu’à la fin de la troisième.
Deuxième activité :
Un affichage des mots référents avec symboles phonétiques et icônes signifiantes, classés par type de son-voyelle est disposé au-dessus du tableau de la classe.
Périodiquement, lors du déroulement de chaque séquence, une fois que le nouveau lexique a été activé et réactivé lors des différentes activités langagières, je sélectionne quelques mots pour demander aux élèves d’identifier leur son-voyelle. Cela se fait en deux temps. D’abord de quel type de son-voyelle s’agit-il ? Ensuite, quel est le mot référent qui correspond ? Encore une fois, c’est le moment où l’on répète à nouveau les mots avec une approche plurimodale : triple réception complémentaire possible via l’audition, la lecture labiale et le codage en Cued Speech. Cela ne prend que quelques minutes et peut être réactivé à tout moment. On peut aussi proposer une activité de type « take the odd one out » ou « chasser l’intrus » en écrivant quatre mots au tableau dont trois ont le même son-voyelle. Tâche pour les élèves : repérer le mot qui présente un son-voyelle différent. Cette activité permet de travailler sur les « paires minimales » (paires de sons qui ne sont pas toujours discriminés) : le « i court /I/» de « fish » opposé au « i long /i:/ » de « sheep », par exemple, ou une voyelle longue opposée à une diphtongue.
Troisième activité :
Toujours en parallèle aux activités traditionnelles du cours mais plutôt en fin de séquence, ou après plusieurs séquences (cf. visuel voyelles longues ci-dessous) je donne une liste de mots classés en fonction de la prononciation du son voyelle. Cela mène à une activité de lecture « en colonne », individuelle dans un premier temps, puis à voix haute en chorale ensuite, enseignant codant en premier pour redonner le modèle, puis les élèves. Cela aide, par la même occasion, à dégager des invariants au niveau de la graphie afin de constituer une représentation plus systématique de la langue écrite. Dans tous les cas, cela permet d’éviter le sentiment que les choses se font au hasard.
Avec les mots dissyllabiques qui constituent le deuxième corpus lexical le plus important en début d’apprentissage, on peut travailler la notion de syllabe accentuée, on peut faire la même chose en classant les mots selon le son-voyelle de leur syllabe accentuée (mise en relief en caractères gras, lettres non prononcées barrées : « r » et « l » après voyelle).
Cela permet de réviser et fixer la connaissance et la prononciation des mots vus lors des activités de communication, de systématiser certaines correspondances entre phonologie et graphie, de visualiser la neutralisation orale de certaines lettres qu’on aurait tendance à prononcer en raison de nos automatismes de lecteurs francophones. On peut proposer une activité selon le même principe en travail personnel : classer une liste de mots (plus réduite) en fonction de la prononciation de leur son voyelle
Troisième réponse adaptative :
désactiver les automatismes de lecture acquis dans la langue première
pour mémoriser le lexique à partir des traces écrites.
Que se passe-t-il au contact de l’écrit ? L’élève va naturellement mobiliser les automatismes de lecture acquis dans sa langue maternelle, d’autant que la graphie utilise les mêmes lettres que le français et ne fait pas apparaître l’alternance de temps forts et faibles (quelques contractions mises à part), ni l’accent de mot, ni l’accent nucléaire, ni la réduction vocalique (qu’il se prononce [æt] ou [ət], ce mot s’écrit « at »). Le contact avec l’écrit, même décalé dans le temps, va donc annuler, en partie, les efforts, déployés auparavant, au niveau de l’imprégnation auditive. Prenons par exemple, « What » : un des mots rencontrés en tout début d’apprentissage dans « What’s your name ? ». Rares sont les élèves de collège qui prononcent ce mot correctement, ils prononcent un « a » français et n’ont pas conscience que le « a » de « what » a la même prononciation que le « o » de « dog ». Il semble donc que l’élève entendant tirera profit de la construction systématique et raisonnée de la grille phonologique anglaise, proposée à l’enfant sourd.
La troisième adaptation sera de proposer en sixième et cinquième, des fiches lexicales thématiques où j’essaie de rendre la langue écrite transparente phonologiquement, c’est-à-dire de faire passer la phonologie par le canal visuel (visuels ci-dessous : adaptation des fiches lexicales provenant de la méthode d’anglais utilisée dans l’établissement ENJOY ENGLISH éditions Didier). Cela sollicite les automatismes travaillés dans les deux types d’activités précédents. Une image (déjà présente dans la fiche lexicale de la méthode d’anglais) illustre le sens du mot pour associer instantanément le « signifiant » (graphie, prononciation) au « signifié » (sens du mot).
Le défi à relever est d’apporter visuellement les informations phonologiques essentielles sans saturer les capacités de réception visuelle de l’élève (trop d’information tue l’information).
Soit :
1. Les syllabes accentuées en caractères gras.
2. Les lettres qu’un francophone aurait tendance à prononcer mais qui restent muettes en gris clair à peine visible.
On ajoute :
3. La syllabe désaccentuée qui subit une réduction vocalique (perte du son-voyelle) en gris avec le symbole phonétique correspondant (le schwa : / Ə /). Ce son vocalique minimal est le son avec la plus grande fréquence d’utilisation parmi les vingt sons voyelles de la langue anglaise puisqu’il intervient dans les syllabes désaccentuées mais aussi dans les mots outils (un francophone débutant a souvent l’impression de percevoir une multiplicité d’occurrences du son / Ə /, répartis au hasard dans la chaîne parlée, sans pouvoir associer ce son à une graphie particulière).
4. Au-dessus de chaque son voyelle, l’icône du mot monosyllabique référent ayant le même son-voyelle. Cela revient à mobiliser des compétences qui avaient été déjà développées lors de l’apprentissage de la lecture en cours préparatoire.
Par exemple, cela permet aux élèves de mémoriser que le «a» de « crazy » se prononce comme «whale». Les « e » de « excited » se prononcent comme le « i » de « fish »
Pour l’adjectif « surprised », il n’y a que deux syllabes sonores, le « r » de « sur » et le « e » ne se prononcent pas, le « i » de la syllabe accentuée se prononce comme le « i » de « kite » mais le « u » de la syllabe « sur » perd son son-voyelle pour être réduit au son minimal / Ə /.
Cette mise en accessibilité de la phonologie, avec de l’entraînement, permet aux élèves n’ayant pas de difficulté insurmontable avec la procédure phonologique de s’approprier très vite la prononciation des mots. Si cela fonctionne pour les mots, cela fonctionne aussi pour les phrases. C’est ce que j’ai pu observer quand j’ai présenté la fiche lexicale ci-dessous à trois élèves sourds de sixième. Ils ont découvert la fiche et se sont mis à lire spontanément en utilisant les icônes et les autres informations visuelles, avant même que je ne leur donne la consigne.
Quatrième réponse adaptative :
rendre les élèves sourds acteurs de leur apprentissage
dans les activités d’expression orale.
Expression orale en continu ou en interaction.
Les activités orales sont celles qui sont le plus pratiquées en classe ordinaire. L’expression orale en continu est plus facile à mettre en œuvre que l’expression orale en interaction qui suppose de percevoir et comprendre ce que dit l’interlocuteur pour réagir en conséquence.
Comment faire en sorte que la personne sourde ne soit pas juste le témoin des interventions des autres élèves ? Il se peut qu’un élève sourd assiste à un cours d’anglais comme s’il regardait un match de tennis, mais en étant toujours en retard sur le déplacement de la balle. Cela renvoie à l’expérience de mon fils au début de son apprentissage de l’anglais. Il était conscient que ses camarades prenaient la parole sans vraiment identifier qui parlait ou alors avec un décalage qui ne lui permettait pas de comprendre. C’est seulement en fin de séance lorsque la trace écrite était notée au tableau qu’il pouvait commencer à comprendre quelque chose mais c’était trop tard. On peut imaginer le sentiment de frustration que cela génère.
Cette expérience familiale m’a permis de mieux comprendre cette problématique et d’essayer d’apporter des réponses ciblées.
Malgré les adaptations pédagogiques mises en œuvre dans le cadre de la classe ordinaire, j’ai constaté que l’élève sourd reçoit toujours l’information en décalage temporel par rapport à ses camarades entendants : temps de latence qui ampute d’autant son temps d’activité langagière. Par ailleurs, le message qu’il reçoit est souvent lacunaire et il doit consacrer une partie de son énergie mentale à reconstituer le contenu linguistique des échanges. En situation d’inclusion scolaire, l’élève sourd accuse donc un déficit de temps d’apprentissage et de mise en activité cognitive par rapport à ses camarades entendants. De plus la rapidité des échanges oraux peut engendrer des moments de décrochage même si la disposition de la classe favorise l’identification des locuteurs.
L’expérimentation pédagogique que j’ai menée était soutenue par la direction académique de mon département. Pour compenser cette difficulté, Il a été alloué trois heures hebdomadaires à l’établissement, dans le cadre du Pôle pour l’Accompagnement à la Scolarisation des élèves Sourds (PASS maintenant PEJS). Ces heures étaient utilisées pour travailler exclusivement avec les élèves sourds en groupes correspondant à chaque niveau de classe. Chaque heure était consacrée à des activités orales en réception et en production, en parallèle aux cours d’anglais en inclusion en milieu ordinaire. Il ne s’agissait pas de donner de travail supplémentaire à ces élèves mais de leur permettre de mettre en œuvre les activités langagières en parallèle aux cours en inclusion. De plus, cela permettait une plus grande réactivité pour apporter les réponses adaptatives au fur et à mesure des observations des besoins des élèves, l’enseignant n’ayant pas gérer en même temps la classe entière.
Cinquième réponse adaptative :
prendre en compte tous les profils linguistiques des élèves sourds
dont le profil bilingue LSF-Français écrit.
Le collège faisant partie d’une structure PEJS, il accueille des élèves sourds de profils linguistiques différents dont il faut prendre en compte la diversité. Les adaptations présentées jusqu’ici s’adressent plus particulièrement aux élèves sourds dont la langue première est la langue française vocale, avec ou sans LfPC. Comment répondre aux besoins de l’élève sourd(e) de profil bilingue, dont la langue première est la langue des signes, plus la langue française écrite ? Cet (Cette) élève ne s’exprimera pas vocalement puisque la composante orale de son profil linguistique est gestuelle. Il (elle) ne percevra pas non plus les échanges oraux en langue anglaise. Est-ce que cela signifie que cet (cette) élève va être exclu(e) des activités orales de la classe ? On pourrait penser qu’une traduction simultanée des échanges en langue des signes serait la réponse adaptative à apporter. Mais cette mesure ne prend pas en compte le fait que la langue anglaise est à la fois le vecteur et la cible des apprentissages. Avec cette adaptation, cet (cette) élève sourd serait donc témoin des activités des autres élèves sans être lui-même (elle-même) acteur(trice) de son apprentissage. La langue des signes ne sera utilisée qu’en tant que « métalangue » au même titre que le français vocal pour les autres élèves, c’est-à-dire pour apporter des explications, comprendre des faits grammaticaux. Cela arrive marginalement et de manière ciblée puisque, la plupart du temps, c’est la langue anglaise qui est utilisée en cours en tant que vecteur des apprentissages.
On peut apporter une réponse en transformant l’activité de compréhension orale en activité de compréhension écrite en donnant le script de l’enregistrement pour les documents sonores, en apportant du sous-titrage aux documents audio-visuels, en écrivant au tableau plus souvent et en ayant recours à une aide-humaine pour prendre en notes les échanges de la classe en langue anglaise que l’élève sourd(e) pourra suivre avec le décalage lié au temps de la prise de notes (temps de latence pour la médiation linguistique).
Appropriation de la syntaxe
Cela demande de réfléchir à la procédure de lecture que cet (cette) élève utilise. Sa langue orale et sa langue écrite premières sont deux langues différentes. Passer de l’une à l’autre demande une procédure particulière dans la mesure où, traditionnellement, le fait de lire consiste à reconnaître une langue que l’on connait déjà, mais dans un code différent. Soit apprendre à lire en utilisant la voie d’assemblage, qui va permettre de se constituer un stock lexical, qui va progressivement transformer le lecteur débutant en lecteur confirmé par le recours à la voie d’adressage. La procédure phonologique n’est pas utilisée par cet (cette) élève.
Il s’agit donc de s’appuyer sur les stratégies qu’il (elle) utilise déjà pour la langue française écrite afin de développer des outils qui vont l’aider à acquérir une maîtrise de la langue anglaise écrite. L’activité « jumble words » (visuel ci-dessous) est une adaptation pour aider à construire et consolider la maîtrise de la syntaxe des phrases travaillées dans une séquence. C’est une activité que je proposais périodiquement à l’ensemble des élèves. J’ai adapté cette activité, utilisée de manière systématique avec cet (cette) élève dans le cadre de l’heure spécifique au groupe d’élèves sourds, en utilisant un code couleur lié aux différentes fonctions des mots dans la phrase (code couleur commun aux différents professionnels de la langue suivant cet élève : orthophoniste, enseignant spécialisé etc…).
Jumble words (reconstituer les phrases en mettant les mots dans l’ordre)
L’élève concerné(e) a tiré un grand profit de la grammaire visuelle (aussi utilisée au tableau pour la trace écrite de fin de cours, à recopier dans le cahier, en soulignant en couleur les mots, fléchant les inversions auxiliaire-sujet etc..). Il (elle) a perçu de manière pertinente le changement de place des mots et l’introduction des mots grammaticaux pour produire une phrase affirmative en réponse à une phrase interrogative, ou l’inverse, ou bien lorsqu’il s’agissait de produire une phrase négative. J’ai donc pu développer une approche plus structurelle de la langue puis créer des situations de communication (toujours soutenues par des illustrations signifiantes) permettant une compréhension et une production écrite du même ordre que ce qui se faisait à l’oral pour les autres élèves.
Expression écrite en interaction.
En conséquence, l’expression orale en interaction se faisait en temps réel mais par le canal écrit : adaptation de substitution qui fonctionne très bien à partir du moment où les élèves sont entrainés. Un peu comme les stratégies de communication adaptées aux nouvelles technologies, SMS etc… avec la consigne de produire des énoncés complets. Cette activité d’expression écrite en interaction était régulièrement mise en œuvre dans les temps d’inclusion pour les travaux en binômes (il y avait toujours un (une) élève volontaire pour faire équipe) et aussi pendant l’heure spécifique au groupe d’élèves sourds (visuel ci-dessous).
Mémorisation du lexique et reconnaissance des mots écrits
En l’absence de procédure phonologique, la stratégie de mémorisation du vocabulaire est différente, plutôt alphabétique (peut-être une transposition de l’utilisation de la dactylologie en langue des signes). Cela lui demandait plus de temps et d’énergie pour maîtriser le lexique et cela pouvait générer des confusions : par exemple entre « twelve » et « twenty » en situation de production autonome alors qu’il (elle) connaissait le sens de chacun des mots.
En conséquence, lors des évaluations et en fonction des objectifs, je pouvais proposer une liste de mots écrits (sans aide à la compréhension de ces mots) afin qu’il (elle) puisse réduire la charge cognitive de l’activité de « bas niveau » (écrire correctement le mot avec les lettres dans l’ordre) et se concentrer sur la tâche de « haut niveau » : écrire un texte qui mobilise ses compétences syntaxiques, une intention de communication et qui intègre des connaissances culturelles (voir exemple de production en conclusion).
Lors d’une activité de compréhension d’un texte écrit, il s’agit toujours de prendre appui sur les mots que l’on comprend pour percevoir le sens du texte ou chercher des informations précises : cela peut être du vocabulaire déjà étudié mais aussi des mots jamais rencontrés mais dont la proximité avec le français permet de deviner le sens (mots transparents : 40% du vocabulaire anglais est d’origine française). La difficulté que cet (cette) élève pouvait rencontrer était de ne pas avoir la connaissance de certains mots en français et de se retrouver bloqué(e) sur une recherche d’information à cause d’un mot clé qui lui faisait défaut, alors que les autres élèves en avaient tout de suite deviné le sens (par exemple le mot « costume » dans la description d’un héros de bande dessinée). Dans ce cas précis, le mot lui a été donné en langue des signes (présence d’une aide humaine avec maîtrise de la LSF) pour qu’il (elle) puisse réaliser l’activité. Il (elle) a réussi cette activité de compréhension puisqu’il (elle) a trouvé huit éléments d’information sur dix et a pu dessiner le héros correspondant à la description. Il faut rester vigilant par rapport à ce déficit éventuel de vocabulaire qui, normalement, se comble progressivement avec le temps d’immersion dans le bain linguistique.
Synthèse des réponses adaptatives en classe ordinaire :
quelle pertinence pour quels élèves ?
La dimension inclusive de la scolarisation implique la mise en œuvre d’adaptations pédagogiques spécifiques pour répondre aux besoins particuliers des élèves scolarisés dans le cadre de différents plans (BEP : besoins éducatifs particuliers). Quelle est l’incidence positive ou négative des réponses adaptatives pour les élèves sourds selon leur profil linguistique ? Qu’en est-il pour les autres élèves ? (Prise en compte des profils linguistiques des élèves sourds rencontrés uniquement, absence de profil bilingue LSF et langue française orale et écrite, élèves entendants envisagés dans leur globalité). Un point complémentaire pourrait consister à évaluer l’incidence des adaptations pour élèves sourds sur d’autres élèves à besoins éducatifs particuliers afin d’éviter des situations contreproductives. Par exemple, sachant que l’essentiel des adaptations proposées dans mes cours mobilisent le canal visuel, les élèves porteurs de troubles visuels étaient plutôt répartis dans d’autres classes. Cela implique un travail de concertation plus globale au sein de l’établissement.
Légende du tableau :
incidence positive en vert, incidence négative en rouge,
Elèves sourds langue française sans LfPC en L1 | Elèves sourds langue française avec LfPC en L1 | Elèves sourds LSF en L1 + français écrit | Elèves entendants | |
Cued speech simultané (enseignant) | Lecture labiale et débit de parole | Réception totale des énoncés | Non concernés | Utilisation ciblée et très limitée |
Cued Speech différé (codeur (euse)) | Non expérimenté | Compétences de décodage >>> réception totale | Non concernés | Non concernés |
LSF | Non concernés | Non concernés | Utilisation ciblée et limitée | Non concernés |
Education phonologique auditive | Lacunaire et insuffisant | Lacunaire et insuffisant | Phonologie inaccessible | Positif si régulier |
Mots référents | Positif | Positif | Phonologie inaccessible | Positif |
Fiches lexicales avec phonologie visuelle | Positif | Positif | Phonologie inaccessible | Positif |
Classer les mots / son voyelle | Positif avec Cued Speech simultané | Positif avec Cued Speech simultané | Phonologie inaccessible | Positif |
Chasser l’intrus | Positif avec Cued Speech simultané | Positif avec Cued Speech simultané | Phonologie inaccessible | Positif |
Lecture en colonne | Positif avec Cued Speech simultané | Positif avec Cued Speech simultané | Phonologie inaccessible | Positif |
Illustrations signifiantes | Positif | Positif | Positif | Positif |
Grammaire visuelle | Positif si régulier | Positif si régulier | Positif si régulier | Positif si régulier |
Jumble words | Positif si régulier | Positif si régulier | Positif si régulier | Positif si régulier |
Substitution activités orales par activités écrites | Script bande son compréhension orale devient écrite | Script bande son en compréhension orale devient écrite | Incontournable : Acteur de ses apprentissages | Inapproprié |
Transcrire les interventions orales | Utilisation ciblée et limitée >>> Accessibilité, correspondance oral-écrit | Utilisation ciblée et limitée >>> Accessibilité correspondance oral-écrit | Incontournable : Accessibilité + Acteurs de leurs apprentissages | Utilisation ciblée et limitée Sinon risque : phagocyter compréhension orale |
La lecture du tableau permet de mettre en relief certains critères constitutifs des adaptations.
• Penser l’adaptation en termes de réception du message avant d’envisager la compréhension.
• Garder à l’esprit l’activité langagière mobilisée par l’adaptation.
• Varier les adaptations pour pouvoir travailler le plus d’activités langagières (les 5 si possible).
• Cibler l’adaptation en fonction du profil linguistique de l’élève sourd.
On peut aussi trouver des éléments de réponses aux questions suivantes :
• L’adaptation a-t-elle des effets contre-productifs pour un élève avec un autre profil linguistique ?
Elle peut n’apporter aucune aide pertinente puisque ciblée vers un profil d’élève particulier (par exemple l’utilisation du Cued Speech simultané pour un élève sourd n’ayant pas d’approche phonologique). Toutefois, elle peut profiter à des élèves, a priori, hors cible (par exemple le Cued Speech simultané pour un élève sourd avec langue française sans LfPC en L1, qui ralentit le débit de parole et favorise la lecture labiale)
• Quelle est la conséquence de l’adaptation pour les élèves entendants de milieu ordinaire ?
La plupart des adaptations va constituer une aide supplémentaire et favoriser l’automatisation des acquisitions langagières pour ces élèves (il faudrait envisager les situations particulières des élèves avec d’autres besoins particuliers). Cependant, il faut être vigilant au fait que certaines aides visuelles soient utilisées de manière ciblée pour ne pas réduire le temps d’exposition à la langue orale des élèves entendants.
• Est-il possible de mettre en œuvre simultanément deux adaptations différentes pour des élèves à profils linguistiques différents ?
Cela se réalise facilement et relève des choix pédagogiques de l’enseignant pour un grand nombre d’entre elles. En revanche, il est nécessaire de recourir à la présence de professionnels complémentaires, tels que codeurs en Cued Speech et interfaces de communication maîtrisant la LSF pour assurer l’accessibilité en Cued Speech différé, prise en notes des échanges oraux et aides ciblées en LSF.
• Enfin, il faut envisager les conséquences sur les évaluations. En fonction des profils linguistiques, certaines activités langagières ne peuvent être évaluées.
o Les activités de compréhension orale et d’expression orale pour les élèves sourds bilingues LSF et langue française écrite.
o Les activités de compréhension orale pour tous les élèves sourds. Elles reposent essentiellement sur la réception d’un message par le canal auditif à partir d’un enregistrement, ce qui revient à tester la sévérité de la surdité de la personne et non pas sa compréhension. Toutefois les adaptations d’accessibilité bimodale, utilisées de manière intensive, pourraient, à terme, permettre à certains élèves sourds de tester d’autres modalités de passation de l’évaluation de compréhension orale (lecture du script de la partie compréhension orale par l’enseignant, avec codage simultané en intégrant la notion du temps de latence de réception du message audiovisuel pour effectuer les tâches écrites).
o Les dispenses d’épreuves de compréhension orale et/ou d’expression orale aux examens sont notifiées dans les textes officiels.
Conclusion :
utiliser la langue anglaise, pour agir en tant qu’être social
avec une intention de communication
fondée sur une représentation et une expérience du monde.
Pour terminer ce rapport d’expérimentation pédagogique,
je vais présenter trois travaux d’élèves sourds, chacun représentant un profil linguistique différent :
- Élève A : langue française sans LfPC en langue première (L1)
- Élève B : profil bilingue : langue française avec LfPC (pendant l’enfance) en L1, LSF en L2
- Élève C : profil bilingue : langue des signes française + français écrit
Pour introduire les travaux des élèves, je vais présenter la « tâche finale » de deux séquences de 4ème, le cours d’anglais fonctionnant par projets, par scénarii en quelque sorte, dans le cadre du CECRL*. (niveau A2, début niveau B1)
Première séquence.
Ici, il s’agit d’organiser un voyage à New York. On doit écrire à son meilleur ami pour dire ce qu’on va y faire, les projets que l’on a et aussi exprimer son enthousiasme. En parallèle, j’ai présenté la grille d’évaluation de cette tâche finale pour montrer la place des différents critères d’évaluation. Maintenant, ce n’est plus la correction de l’accord sujet verbe à la troisième personne du singulier que l’on note, c’est surtout l’intention de communication, la richesse de ce que l’on exprime, y compris la dimension pragmatique. La correction de la langue n’est pas abandonnée mais elle prend une dimension plus relative.
Par ailleurs, j’ai réalisé un organigramme synthétique de cette séquence
qui a duré environ trois semaines pour montrer tous les aspects abordés.
Il s’agit donc de projeter l’élève dans une situation dans laquelle il peut s’impliquer personnellement en tant qu’être social. Il y a, bien sûr, une dimension linguistique incontournable, avec une maîtrise de vocabulaire et de structures de phrases à acquérir. L’élève va devoir expliquer ce qu’il fera quand il sera là-bas. Il doit aussi exprimer son enthousiasme (une émotion), car c’est une expérience exceptionnelle, un voyage à New York ! Et il faut aussi connaître New York, cela implique d’acquérir des repères et connaissances d’ordre culturel. Tout cela se travaille dans le cadre des cinq activités langagières. Au fur et à mesure des séances, les élèves vont avoir à écouter et comprendre, parler, lire et comprendre, écrire, en fonction des supports qui leur sont proposés. Ils sont donc toujours en activité. Toutes les activités langagières proposées ont été accompagnées d’adaptations ou conçues à partir de supports visuels pour rendre le contenu accessible aux élèves sourds.
Production de l’élève A.
Indépendamment de quelques erreurs mineures, par exemple lexicale : « je dois faire ma valise », ne connaissant pas le vocabulaire approprié, il / elle a eu recours au français traduit mot à mot, (stratégie non spécifique aux élèves sourds) « * I must make my suitcase » au lieu de « I must pack my suitcase », l’élève a su mobiliser ses compétences pour réaliser un travail répondant aux objectifs fixés. De plus, son désir d’investissement lui a fait reprendre son travail pour en réaliser une version graphique pour la journée portes-ouvertes de l’établissement. C’est cette version qui est présentée ici.
Deuxième séquence.
« Tâche finale »
Il s’agissait ici d’organiser une visite guidée de Washington D.C. Cette séquence a duré environ trois semaines. La difficulté ne résidait pas dans le choix des structures syntaxiques mais dans l’appropriation de connaissances culturelles denses à partir de documents variés (bande dessinée sur l’origine de « Thanksgiving », repères historiques par la construction d’une frise chronologique où il fallait inclure des événements historiques majeurs, visite de Washington avec extrait du film « Mr Smith Goes to Washington » 1939 de Franck CAPRA, extrait se terminant sur les dernières phrases de la « Gettysburg Address » d’Abraham Lincoln sur la définition de la démocratie, lecture du plan avec les repères adéquats, identification et localisation des monuments, recherche d’informations biographiques simples). En outre, il fallait convoquer des concepts abstraits, tels que la démocratie, la séparation des pouvoirs, déjà étudiés dans d’autres disciplines mais replacés dans le contexte américain. Et bien sûr, travailler le lexique spécifique.
Le défi à relever par tous les élèves était lié à la posture à adopter pour la présentation orale. Après avoir travaillé une production écrite en amont pour mémoriser un certain nombre d’informations, il fallait interpréter sans réciter par cœur. Il fallait donc prendre en compte le public auquel on s’adressait, établir le contact visuel, se permettre d’hésiter, observer des pauses, accepter de faire des erreurs que l’on corrige, parler et en même temps montrer les lieux au tableau. L’intervention était filmée (respect du droit à l’image observé avec autorisation signée de l’élève et de ses représentants légaux), chaque élève pouvait ensuite récupérer la vidéo de son intervention.
Les deux élèves sourds ont choisi d’intervenir ensemble en alternant leurs interventions. Pour l’élève B, c’était une prise de parole en langue anglaise, pour l’élève C, le parti pris a été de respecter son profil linguistique avec une intervention en langue des signes française à partir d’un travail exclusivement réalisé en langue anglaise (durée totale de l’intervention 4 minutes).
Visuel projeté au tableau derrière les locuteurs
Intervention des deux élèves sourds
Annexe : Remerciements
Avant tout, je tiens à remercier tous les élèves sourds et entendants qui se sont prêtés à cette expérimentation pédagogique et dont l’investissement a constitué, pour moi, un véritable encouragement et une source de motivation.
La mise œuvre d’un tel projet pédagogique ne peut que s’inscrire dans une dynamique institutionnelle collective pour le soutenir dans toutes ses implications (organisationnelle, budgétaire, besoin de ressources humaines) et l’évaluer régulièrement.
Je tiens à remercier :
- La Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale d’Indre-et-Loire et l’Inspection Pédagogique Régionale d’anglais de l’Académie d’Orléans-Tours.
- Madame Naumovic et Monsieur Souvent qui se sont succédé sur le poste d’IEN-ASH 37 pendant la durée du projet : (Inspecteurs de l’Education Nationale chargés de l’Adaptation et de la Scolarisation des élèves Handicapés).
- Madame De Vos et Monsieur Allart, successivement chefs d’établissement du collège Léonard de Vinci 37100 Tours.
- L’équipe d’anglais et l’équipe ULIS du collège pour le travail d’équipe, l’ensemble des collègues pour leur collaboration interdisciplinaire toujours renouvelée.
Je tiens également à remercier les autorités de l’Education Nationale et le milieu associatif qui m’ont permis de communiquer régulièrement sur ce travail expérimental. L’article ci-dessus constitue une synthèse de ces interventions. (2008 journées d’études de l’ALPC, 2009 CNEFEI (INSHEA), 2010 Ecole Supérieure de l’Education Nationale Poitiers, 2015 journée d’étude Droit au Savoir, 2016 ESPE 37(Ecole Supérieure du Professorat et de L’Education), 2016 rédaction article pour revue ACFOS Connaissances Surdités, 2017 journée ALPC à l’INJS de Paris, 2018 Génération Cochlée)
Enfin, je voudrais remercier Madame Stéphanie Colin, Monsieur Carlo Gecari, Madame Jacqueline Leybaert et Madame Christine Petit, membres du Conseil Scientifique de l’Education Nationale, qui ont mentionné cette méthode d’expérimentation pédagogique avec utitlisation du Cued Speech dans leur rapport publié le 5 juillet 2021 : « La scolarisation des élèves sourds en France. État des lieux et recommandations. »
* CECRL : Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues.